Quannah Chasinghorse est une mannequin amérindienne. Née sur le territoire de la nation Navajo à Tuba City (Arizona), elle est membre du peuple amérindien Hän Gwich'in (Alaska) du côté de sa mère, et Lakota Sicangu-Oglala de la réserve indienne Rosebud (Dakota du Sud) du côté de son père.
Chasinghorse est une protectrice des terres de quatrième génération pour le refuge faunique national de l'Arctique , un écosystème vaste de 20 millions d’hectares menacé par l’extraction de combustibles fossiles. Elle est aussi membre de la Ligue pour la Faune Sauvage de l'Alaska . Elle souhaite que les futures générations n’aient plus à se battre.
"Je suis extrêmement passionnée par le travail [d'activisme] que je fais. Des jeunes Amérindiens me contactent et me disent que je les inspire à utiliser leur voix, et aussi à se pencher davantage sur leur identité en tant qu'indigène."
Avec sa mère, Jody Potts, directrice régionale du Native Movement et membre du conseil d’administration de la Ligue pour la Faune Sauvage de l'Alaska , elles mènent ce combat d’une côte à l’autre des États-Unis. "J’ai grandi en voyant ma mère travailler si dur pour son peuple – elle m’a appris qu’il n’y a pas de honte à s’exprimer", confie Chasinghorse à Vogue, qui lui consacre un portrait dans le numéro d’octobre 2021.
Elle attache d’ailleurs beaucoup d’importance à sa famille et aux femmes qui la composent. "Ma mère a dû nous élever, moi et mes frères, en tant que parent célibataire, et mes tantes ont joué un rôle important dans mon éducation. Je parle souvent de ma mère et de mes tantes et de ce qu'elles représentent pour moi. Ces fortes matriarches m'ont montré à quoi ressemble le vrai pouvoir et comment l'utiliser de la meilleure façon possible."
À 17 ans seulement, elle devient membre du Conseil International des jeunes Gwich'in et voyage à Washington D.C., New York et dans le Colorado. Elle lutte contre les concessions pétrolières qui endommageraient le refuge et soutient le projet de loi HR 11-46 visant à protéger durablement les terres indigènes. Elle participe également à des manifestations pour le climat et prend parti pour l'action climatique et les droits des peuples indigènes lors de nombreux événements et commissions, aux côtés de sa mère et de ses tantes qui l’accompagnent dans ses combats.
Si elle a décidé d’emprunter ce chemin aujourd’hui, c’est grâce aux enseignements de sa famille et de son peuple. "Dès mon plus jeune âge, ma mère m'a enseigné les liens qui nous unissent les uns aux autres, à notre communauté et à la terre. En tant qu'indigènes, nous ne nous considérons pas comme séparés ou plus importants que la nature. Lorsque l'on grandit avec un lien avec la terre, il est naturel de vouloir la défendre, car elle fait partie de nous".
Elle sensibilise le public à de nombreux problèmes des territoires indigène, notamment la justice climatique, la protection des terres et des eaux sacrées, la souveraineté indigène, ainsi que le mouvement MMIWG2S (Missing and Murdered Indigenous Women, Girls and Two-Spirit People), qui fut créé pour mettre fin à la violence contre les femmes indigènes.
Chasinghorse met aussi un point d’honneur à célébrer son héritage à travers la mode indigène et à promouvoir des marques indigènes durables. Sa garde-robe vibrante regorge de marques indigènes telles que Jamie Okuma, Thunder Voice Hat Co. ou Bethany Yellowtail. Elle incorpore même ses propres bijoux culturels dans des shootings, considérant la mode comme un moyen efficace et accrocheur d'éduquer et de partager sa culture avec les autres. "J'ai toujours voulu représenter mon peuple de la meilleure façon, et j'ai maintenant la chance de le faire, en faisant la couverture de magazines et en défilant. Il est important d'être quelqu'un qui peut changer la façon dont les autres voient la beauté, car je connais beaucoup de filles qui me ressemblent et qui ne se sentent pas à leur place."
Elle a récemment défilé pour la créatrice Gabriela Hearst, qui est axée sur le développement durable, a collaboré avec des créateurs indigènes et a engagé des mannequins indigènes. Elle s’est également associée à la marque de vêtements Mackage, créatrice d’une collection durable et recyclée, et qui a fait un don à une organisation soutenant les peuples indigènes du monde entier.
"Le mannequinat est devenu un autre canal pour mon activisme. C'est devenu une plateforme pour raconter des histoires et mettre en lumière des problèmes urgents. C'est pourquoi il est important pour moi de travailler avec des créateurs et des marques qui défendent les mêmes valeurs en matière de justice climatique et de durabilité".
Intéressée par la mode dès son plus jeune âge, elle doutait pouvoir faire carrière à cause du manque de représentation des peuples indigènes dans les magazines et les défilés de mode. "J'ai toujours voulu être mannequin. Mais en grandissant, je n'ai jamais vu de représentation indigène dans la mode ou la beauté. Je n'ai jamais grandi en ayant confiance en moi à cause des stéréotypes négatifs sur les Amérindiens. Mais cela est en train de changer. Aujourd'hui, les jeunes générations vont pouvoir être témoins de l'excellence indigène en couverture des magazines - et, espérons-le, partout."
Elle décroche son premier contrat en 2020, avec Calvin Klein pour la campagne "One Future #ckone", puis signe avec l’agence IMG Models, ouvrant ainsi la porte à d’autres femmes indigènes dans une industrie qui n’avait, jusqu’à présent, que peu de considération pour cette communauté. Depuis, elle a fait les unes de nombreux magazines tels que Vogue Mexico, Vogue Japan et V Magazine.
Chasinghorse est devenue très reconnaissable grâce à ses tatouages faciaux Hän Gwich’in traditionnels appelés Yidįįłtoo. Ceux-ci, qui étaient interdits au cours des derniers siècles, sont là pour commémorer les événements de sa vie et sont, comme la tradition l’exige, réalisés à la main par une femme. Les siens furent peints par sa mère.
Dans l’interview d’octobre 2021 pour Vogue, elle explique que "les lignes représentent le dépassement de traumatismes générationnels. Pouvoir remettre [les tatouages] en avant est quelque chose de puissant – on se sent responsable en sachant que l’on perpétue une tradition qui était censée ne plus exister".
Dans un article qu’elle a elle-même écrit pour CNN Style, elle explique : "à 14 ans, j'ai reçu mon premier tatouage facial […] lors d'une cérémonie pratiquée pour signifier le passage à l'âge adulte. C'était vraiment un moment spécial. J'aurais pu le faire plus tôt, mais j'ai attendu de pouvoir mieux saisir sa signification et son caractère sacré […]. Les autres tatouages ont tous faits partis d’un rite de passage. Les tatouages de tous les indigènes ne sont pas les mêmes ; chacun d’eux raconte notre histoire personnelle."
Comme toutes ses actions militantes et ses choix de mode percutants, elle considère ses tatouages comme une occasion d'éduquer les autres sur un aspect moins connu de sa culture. Cet aspect est particulièrement important dans un domaine comme le mannequinat, où l'on attendait autrefois des mannequins qu'ils aient un look uniforme.
Lors du Met Gala 2021, sur le thème "America: A Lexicon of Fashion", Chasinghorse fait sensation sur le tapis rouge et sur les réseaux sociaux, et sa tenue, inspirée par la culture Navajo, devient virale. Celle-ci est conçue et réalisée par le créateur Peter Dundas, la styliste Tabitha Simmons, la maquilleuse Gucci Westman, ainsi que par l’une de ses tantes, Jocelyn Billy-Upshaw (Miss Navajo Nation 2006), qui, pour l'occasion, lui apporte des bijoux en argent et turquoise issues de sa propre collection, mettant ainsi en avant des œuvres d'artistes Navajo. Refinery29 la désigne comme la "star éclatante" de l'événement, puis, la même semaine, elle défile pour la première fois à la Fashion Week de New York.
Chasinghorse a également une adoration particulière pour les rencontres et la découverte de lieux divers et variés grâce au mannequinat. "C'est ce que j'ai toujours voulu faire", exprime-t-elle après un shooting pour le magazine Vogue à Costalegre, au Mexique, un "endroit magique. Ces expériences étaient dingues".
Elle se ressource constamment sur le plateau de shooting, "j'écoute de la musique, ou j'envoie des messages à ma mère ou à mes tantes", mais passe son temps libre à faire de la randonnée, des courses de chiens de traîneau et à préparer des tacos au pain frit avec sa famille. Cet été, elle a participé à un camp de pêche d'une semaine sur le fleuve Yukon, où elle a appris à connaître la migration des saumons de la région.
En apportant certaines de ces expériences de vie au monde de la mode, elle fait en sorte que de plus en plus de personnes comme elle se sentent vu. "Il est très important de pouvoir être un jeune indigène dans cet environnement. J'ai grandi sans jamais voir de représentation - maintenant je peux être cette personne pour beaucoup d'autres".
Aujourd’hui, beaucoup de jeunes femmes indigènes la contactent pour exprimer leur joie de voir ses photos de mode dans des magazines. "Je ne peux même pas expliquer le sentiment que j'éprouve, car c'est une chose tellement puissante pour notre peuple de se sentir enfin vu et entendu, après une si longue période sans être représenté dans la mode. Et cette jeune génération n'aura pas à franchir la première barrière, mais pourra au contraire parcourir ce chemin avec moi."
Pour autant, si elle constate une plus grande inclusion dans la mode en ce qui concerne la race, la taille et le sexe, elle estime qu’il est toujours possible de faire mieux. À chaque défilé ou séance photos auquel elle participe, elle confie faire la rencontre de belles personnes, et pas seulement en apparence. "De nombreux mannequins en devenir apportent désormais quelque chose de spécial et d'unique - ils ne sont pas seulement destinés à porter des vêtements".
Elle trouve tous ces changements et ces évolutions positives dans l'ensemble de l’industrie très encourageant, mais rappelle et soutient que "nous devons continuer à nous tenir mutuellement responsables" car il y a encore beaucoup de chemin à faire.
Par ailleurs, bien qu'elle aime le mannequinat et la mode en général, elle veut utiliser ses talents pour quelque chose de plus grand. "Le monde reconnaît peu à peu que les peuples indigènes ne sont pas seulement beaux et forts, mais que nous détenons des valeurs qui constituent des solutions à de nombreux problèmes actuels, comme la crise climatique".
Elle n’en n’oublie pas pour autant sa propre personnalité et ne fera aucune concession. Si elle doit réussir, c’est en étant elle-même, avec ses racines et sa personnalité. "C'est vraiment magnifique de faire partie d'un changement plus important dans l'industrie de la mode, où les personnes de tous horizons sont de plus en plus représentées. Mais ma règle est la suivante : si vous voulez travailler avec moi, vous devez travailler avec tout ce que je suis. Je ne couperai ni ne changerai la couleur de mes cheveux et je ne cacherai pas mes tatouages faciaux, car ils font partie de mon identité en tant qu'indigène."
Elle craignait au début que ses principes l’empêchent de décrocher du travail, mais fut agréablement surprise de la tolérance, de la compréhension et de la bienveillance que les personnes avec qui elle a travaillé ont eue à son égard. Elle considère avoir eu beaucoup de chance. Ce n’est malheureusement pas le cas pour tout le monde.
"Mon peuple s'est toujours senti invisible alors avoir cette visibilité aujourd'hui est très important. Malgré tout ce que les communautés indigènes ont enduré et perdu, nous sommes toujours là, et nous sommes fiers de ce que nous sommes."
https://arcticwild.com/destinations/arctic-national-wildlife-refuge/
Article écrit par Julie Poutrel pour Adama Toulon.