Simone Veil, née Jacob, était une magistrate et femme politique française. Elle fut notamment Ministre de la Santé, et Présidente du Parlement Européen de 1979 à 1982, la toute première femme à occuper ce poste. Elle fut également membre du Conseil Constitutionnel, la plus haute autorité juridique française, de 1998 à 2007.
Simone Veil est surtout connue pour avoir fait progresser les droits des femmes en France, notamment grâce à la Loi Veil, loi de 1975 qui a légalisé l’avortement.
Elle naît en 1927 dans une famille explicitement juive aux origines lorraines, mais non pratiquante et "très laïque". Veil déclare dans son autobiographie que son "appartenance à la communauté juive ne m'a jamais fait problème. Elle était hautement revendiquée par mon père, non pour des raisons religieuses, mais culturelle."
En 1944, alors âgée de 16 ans, dans une France sous occupation allemande, elle et sa famille sont arrêtées et envoyés dans des camps de concentration. Son père et son frère sont déportés dans les Etats baltes, mais elle ne les reverra jamais. Sa sœur Denise est déportée au camp de concentration de Ravensbrück, auquel elle survit. Elle retrouvera ses sœurs Simone et Madeleine après la guerre. Simone, elle, est déportée à Auschwitz, mais échappe à la chambre à gaz en mentant sur son âge. Elle est alors envoyée dans un camp de travail.
En janvier 1945, Simone, sa mère et sa sœur Madeleine sont envoyées vers le camp de concentration de Bergen-Belsen, où sa mère meurt du typhus. Madeleine tombe également malade, mais fut sauvée, ainsi que Simone, lors de la libération du camp le 15 avril 1945.
Lorsqu’elle rentre en France, après la guerre, elle se sent prête à parler de ce qu’elle a vécu, mais a le sentiment que peu de personne veulent l’entendre. Elle évoquera la déportation de sa famille dans un documentaire, diffusé le 2 septembre 1976, et insistera sur la spécificité juive de la Shoah.
À savoir : aussi appelé Holocauste, la Shoah désigne l’extermination systématique (ou génocide) menée par l'Allemagne nazie contre le peuple juif pendant la Seconde Guerre Mondiale, qui conduisit à la disparition de près de six millions (voire plus) de Juifs. Le terme "Holocauste" fut popularisé par la série américaine éponyme de 1978 racontant le génocide des Juifs durant la guerre. Cependant, dans la tradition juive, l’Holocauste est un sacrifice "fait de chair animale brûlée offerte à Dieu pour lui être agréable". L’emploi de ce terme est donc considéré par les Juifs comme un grave contresens. Les francophones européens emploient plutôt le terme "Shoah" (signifiant "catastrophe" en hébreu) et qui fut lui aussi popularisé grâce au film éponyme de Claude Lanzmann en 1985.
Survivante de la Shoah, Simone Veil croyait fermement à l'intégration européenne comme moyen de garantir la paix. Elle fut présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah de 2001 à 2007, puis présidente d'honneur.
Après la guerre, de retour en France, elle commence des études de droit à l'université de Paris, puis entre à l'Institut d'études politiques où elle rencontre son mari, Antoine Veil. En 1956, elle renonce à travailler comme avocate et passe avec succès le concours national pour devenir magistrate.
Elle occupe d’abord un poste de direction à l'Administration pénitentiaire nationale relevant du Ministère de la Justice, où elle est chargée des affaires judiciaires et d’améliorer les conditions de détention et le traitement des femmes incarcérées.
Pendant la guerre d'Algérie, missionnée par le Ministre de la Justice de l’époque, Edmond Michelet, Veil réussit à faire transférer en France des prisonnières algériennes exposées aux mauvais traitements et aux viols, ainsi que des hommes menacés de la peine capitale. Elle fait également obtenir la détention au titre de régime politique aux milliers de membres du Front de Libération Nationale internés en France.
En 1964, elle quitte son poste pour devenir directrice des affaires civiles, où elle améliore les droits et le statut général des femmes françaises. Elle obtient avec succès le droit à la double tutelle parentale sur les affaires juridiques familiales et le droit à l'adoption pour les femmes.
En 1970, alors membre du Syndicat de la Magistrature, elle devient la première femme à obtenir le poste de secrétaire générale du Conseil supérieur de la Magistrature.
En 1971, Veil est la première femme nommée au Conseil d’Administration de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française). Alors qu’elle occupe ce poste, elle s’oppose, à la surprise générale, à la diffusion du film documentaire "Le Chagrin et la Pitié". Celui-ci, traitant de l’Occupation allemande de la ville française de Clermont-Ferrand pendant la Seconde Guerre Mondiale, est jugé par Veil comme injuste et partisan.
Évoluant dans un milieu proche du Mouvement Républicain Populaire, dont son mari est membre, Simone Veil se veut libérale et ouverte sur les questions de société. Elle voit notamment d’un très bon œil, et avec bienveillance, la période de Mai 68, durant laquelle se déroulent, en France, de nombreuses manifestations étudiantes et des grèves générales. "Contrairement à d'autres, je n'estimais pas que les jeunes se trompaient : nous vivions bel et bien dans une époque figée".
En 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, Simone Veil est nommée Ministre de la Santé, dans le gouvernement de Jacques Chirac. Elle conserve ce poste sous les gouvernements de Raymond Barre, devenant ainsi la deuxième femme à devenir Ministre de plein exercice, après Germaine Poinso-Chapuis en 1947.
Durant ses années en tant que Ministre de la Santé, elle fait avancer deux grandes lois. La première, votée en 1974, facilite l'accès à la contraception et la vente de contraceptifs comme la pilule contraceptive orale combinée légalisée en 1967.
Mais c’est la seconde loi qui la fera connaître, en France et à travers le monde, et celle pour laquelle elle se sera le plus battue : la Loi Veil, votée en janvier 1975. Celle-ci légalise l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) en France. Ce combat, qu’elle mène avec acharnement, lui vaut de nombreuses injures et menaces de la part de l’Extrême Droite et de la Droite Parlementaire qui s’opposent à la légalisation de l’avortement.
Veil s'oppose également à la banalisation de l’avortement. Pour elle, celui-ci "restera toujours un drame", et bien que sa loi ne l'interdise plus, elle ne crée pour autant aucun droit.
Depuis l'adoption de la loi, nombreux sont ceux qui lui ont rendu hommage et l'ont remerciée pour son combat courageux et déterminé. Dans un discours devant les députés, elle soutient que "l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue".
En 1976, elle-même fumeuse, Veil contribue à l’adoption de la loi française de lutte contre le tabagisme : restrictions à la publicité, avertissement sanitaire sur les paquets de cigarettes et interdictions de fumer dans certains lieux publics.
Elle travaille aussi sur le problème des zones rurales médicalement mal desservies. Elle fait fermer des établissements à faible activité, rééquilibre les comptes de l'Institut Pasteur, met en place des aides financières pour les mères d'enfants en bas âge et fait adopter une loi d'orientation en faveur des handicapés.
Egalement militante des droits civiques, elle participe avec d’autres membres du gouvernement français à la mise en échec du projet de retour forcé de 100 000 Algériens prôné par Valéry Giscard d'Estaing.
En 1979, elle est élue membre du Parlement Européen. Lors de sa première session, elle est élue par le nouveau Parlement comme première présidente, poste qu'elle occupera jusqu'en 1982.
Durant son mandat, elle fait voter une loi attribuant à l'État le soin de fixer le numerus clausus (un nombre limite) des étudiants en médecine en fonction des besoins de santé de la population, et non plus en fonction de la capacité des services hospitaliers à accueillir les étudiants pour leur formation clinique, comme c’était le cas auparavant, depuis son instauration en 1971.
Elle soutient également la proposition d'Yvette Roudy de créer une Commission des droits des femmes, et apporte au Parlement Européen plus de visibilité dans le domaine des droits de l'Homme.
En 1981, elle remporte le prestigieux prix Charlemagne, une récompense décernée pour honorer les contributions apportées par des individus à la promotion de l'unité de l'Europe.
En 1983, avec son mari, elle crée le club Vauban, un groupe de réflexion visant à dépasser les clivages politiques. Elle déclara d’ailleurs, dans l’émission "L'Heure de vérité", qu'elle est "à gauche pour certaines questions, à droite pour d'autres".
De 1984 à 1992, Veil fut membre de la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, et membre de la Commission des affaires politiques. Elle siégea, par la suite, à la Commission des affaires étrangères et à sa sous-commission des droits de l'Homme.
De 1989 à 1993, elle fut aussi membre de la délégation du Parlement à l'Assemblée parlementaire paritaire, dont elle a également été vice-présidente jusqu'en 1992.
En 1996, Veil fut nommée membre de la Commission Internationale pour les Balkans, fondée l’année précédente par la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale.
La même année, alors Ministre d'État, des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville dans le gouvernement d’Édouard Balladur, et alors que le nombre de femmes dans les assemblées plafonne à seulement 6%, Veil signe la pétition "Manifeste pour la parité" initiée par Yvette Roudy, dans le magazine L’Express, réunissant dix femmes politiques de gauche et de droite. L’essentiel des propositions avancées par cette pétition seront reprises dans la loi Jospin sur la parité, votée en 2000.
Simone Veil a également soutenu de nombreuses associations telles que le Fonds Européen pour la liberté d’expression ; ELSA France, une association internationale indépendante et apolitique gérée par et pour les étudiants en droit ; ou encore la Fondation Européenne de la Science, dont elle est Présidente d’Honneur, qui a pour but de promouvoir la recherche scientifique et d'améliorer la coopération européenne dans ce domaine.
En 2007, elle publie son autobiographie intitulée "Une vie" qui sera par la suite traduit en près de quinze langues, se vendra en France à plus de 550 000 exemplaires et obtiendra le prix des Lauriers verts en 2009.
Son action publique est également reconnue par son élection au sein des "Immortels", nom donné aux membres de l’Académie Française.
En 2008, elle est élue, dès le premier tour du scrutin, pour une place à l’Académie Française. À ce titre, son épée d’académicienne lui est remise au Sénat en 2010. Il s’agit d’une distinction remise aux membres de l’Institut de France rassemblant les élites scientifiques, littéraires et artistiques de la nation dans le but commun de perfectionner les sciences et les arts, développer une réflexion indépendante et conseiller les pouvoirs publics. Sur son épée sont gravés le numéro de matricule (78651) qui a été inscrit sur son bras lors de sa déportation à Auschwitz, ainsi que la devise de la République Française, "Liberté, Egalité, Fraternité", et celle de l’Union Européenne, "In varietate concordia".
À partir de 2009, Veil est également membre du jury du prix pour la prévention des conflits, et elle reçoit l’année suivante le prix européen des droits civiques des Sinti et des Roms pour son engagement en faveur de ces deux minorités.
Simone Veil reçu d’innombrables distinctions et décorations françaises, étrangères et universitaires honorifiques, bien trop nombreuses pour toutes les nommées. Côté français, nous pouvons notamment citer sa distinction à l’ordre national de la Légion d’Honneur en 2009 : Veil fut directement "élevée à la dignité de grand officier" au titre "d’ancien ministre, ancien membre du Conseil constitutionnel, membre de l'Académie française, pour ses 51 ans d'activités professionnelles, de services civils et de fonctions électives", puis "élevée à la dignité de grand-croix" en 2012 au titre "d’ancienne ministre, ancienne présidente du Parlement européen, ancienne membre du Conseil constitutionnel, membre de l'Académie française".
Côté étranger, elle fut intronisée au International Hall of Fame de l’International Women’s Forum. Elle fut également nommée grand-maître de l'ordre du Mérite Ivoirien (1976), grand-officier de l'ordre de la Valeur du Cameroun (1982), elle reçut la croix de commandeur de l'ordre du Mérite de la République fédérale d'Allemagne (1975), le Prix d’Honneur de la Fondation Johanna Lowenherz (1987, Allemagne), la grand-croix de l'ordre du Mérite du Portugal (1987) ou encore le Prix Heinrich Heine de la ville de Düsseldorf pour l'ensemble de son œuvre (2010).
Suite à sa mort en 2017, de nombreuses personnalités lui ont rendu hommage en France, mais également à l’étranger. Le président algérien Abdelaziz Bouteflika, notamment, rappelle "la proximité et la solidarité que cette grande dame […] a témoignées au peuple algérien durant la terrible tragédie nationale qu’il a vécu", permettant à des prisonniers algériens d’éviter la guillotine. La Chancelière allemande Angela Merkel salue, elle aussi, son engagement de plusieurs décennies dans "le processus d’unification européenne".
Un hommage national lui est rendu aux Invalides, et plusieurs pétitions voient le jour pour la faire entrer au Panthéon. La première pétition, lancée par l'association féministe Politiqu'elles, recueille plus de 110 000 signatures. Une autre atteint les 120 000 signatures.
Deux de ses petites-filles, extrêmement touchées par ce mouvement, sont néanmoins attristées par l’idée que leurs grands-parents (Simone et son mari) soient séparés après 65 ans de vie commune. C’est pourquoi, en accord avec la famille de Simone Veil, le président de la République annonce, à la fin de l’hommage aux Invalides, que Simone Veil pourra reposer au Panthéon avec son époux. Elle est la cinquième femme à y faire son entrée. Celle-ci eu lieu le 1er juillet 2018, et fut précédée d’une exposition au Mémorial de la Shoah, les 28 et 30 juin.
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© Photo: Rob Croes for Anefo - CC0 1.0
Article écrit par Julie Poutrel pour Adama Toulon.