Aung San Suu Kyi est une femme d’Etat birmane. Elle est chef du gouvernement de 2016 à 2021, figure de l’opposition non violente à la dictature militaire de son pays et prix Nobel de la Paix 1991. Elle est la fille de Khin Kyi et de son époux Aung San, partisan de l'indépendance birmane, assassiné en 1947 alors qu'elle n’a que deux ans.
En 2014, elle est classée par Forbes comme la 61e femme la plus puissante du monde.
Suite à la mort de son père et de l’un de ses deux frères, la mère de Suu Kyi s’engage dans les milieux sociaux et publics, et gagne peu à peu de l’importance dans le paysage politique du pays. En 1960, elle est nommée ambassadrice de la Birmanie.
En parallèle, Suu Kyi étudie à l’Ecole anglaise catholique de Birmanie, et finit ses études secondaires au Lady Shri Ram College for Women à New Delhi, en Inde, où vit sa mère. Elle part ensuite pour la Grande-Bretagne afin d’y étudier la philosophie, la politique et l’économie au St Hugh’s College d’Oxford.
En 1969, alors âgée de 24 ans, elle part à New York pour démarrer un second cycle d’études supérieures, mais abandonne après seulement quelques semaines. Elle devient alors secrétaire-assistante du comité des questions administratives et budgétaires au siège new-yorkais de l’ONU.
En 1972, elle épouse Michael Aris, qu’elle a rencontré lors de ses études à Oxford lorsqu’il étudiait les civilisations tibétaines. Ils auront deux fils, Alexander, né en 1973, et Kim, né en 1977. Elle partage alors sa vie entre le Royaume-Uni et le Bhoutan, où habite son mari pour son travail. Celui-ci décèdera d’un cancer de la prostate en 1999.
En 1988, Suu Kyi retourne vivre en Birmanie afin de s’occuper de sa mère malade. Cette même année, des manifestations pro-démocratiques éclatent dans tout le pays et sont violemment réprimées par l’armée.
Fortement influencée par la philosophie non violente de Gandhi et par les concepts bouddhistes, Suu Kyi décide d’entrer en politique. Le 26 août 1988, elle s’adresse à un demi-million de personnes lors d'un rassemblement de masse devant la pagode Shwedagon dans la capitale, appelant à un gouvernement démocratique. En septembre, elle annonce la création de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), accompagnée des anciens généraux Aung Gyi et Tin Oo. Elle est nommée secrétaire générale du parti. Cependant, peu de temps après, une nouvelle junte militaire prend le pouvoir.
Le 20 juillet 1989, Suu Kyi et Tin Oo sont arrêtés par le gouvernement militaire pour trouble à l’ordre public, en vertu de la loi martiale qui autorise la détention sans inculpation ni procès pendant au moins trois ans. Elle est assignée à résidence pendant six ans, et il lui est interdit de rencontrer les partisans de son parti et les visiteurs internationaux.
Elle passe son temps de détention à lire de la philosophie, de la politique et des biographies que son mari lui envoit, à jouer du piano, et est parfois autorisée à recevoir la visite de diplomates étrangers ainsi que de son médecin personnel. Les média ont, eux aussi, interdiction de rendre visite à Suu Kyi.
Bien qu'assignée à résidence, la liberté lui est offerte à condition qu’elle quitte le pays, mais elle refuse. "En tant que mère, le plus grand sacrifice a été de renoncer à mes fils, mais j'ai toujours été consciente du fait que d'autres avaient renoncé à plus que moi. Je n'oublie jamais que mes collègues qui sont en prison souffrent non seulement physiquement, mais aussi mentalement pour leurs familles qui n'ont aucune sécurité à l'extérieur - dans la grande prison de la Birmanie sous le régime autoritaire."
Alors que le pays est en crise, U Nu, le précédent Premier ministre démocratiquement élu de Birmanie, entreprend de former un gouvernement intérimaire et invite les leaders de l'opposition à se joindre à lui. Suu Kyi, depuis sa résidence, rejette catégoriquement le plan de U Nu, en déclarant que "l'avenir de l'opposition serait décidé par les masses populaires".
Les élections générales de 1990, organisées par la junte militaire sous la pression populaire, sont largement remportées par le parti LND de Suu Kyi, avec 58,7% des voix et 392 sièges à l’assemblée (sur 492). Mais les résultats sont annulés et les militaires refusent de céder le pouvoir, provoquant un tollé international et une répression dans le pays.
En 1991, alors qu’elle est toujours en résidence surveillée à son domicile, Suu Kyi reçoit le prix Sakharov pour la liberté de l'esprit, qui honore les personnes ou les organisations ayant consacré leur existence à la défense des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle est également récompensée du prix Rafto, honorant une personnalité ayant agi pour les droits humains, puis du Prix Nobel de la Paix qui est accepté en son nom par ses deux fils.
Le comité du prix Nobel déclara : "Le comité Nobel norvégien a décidé de décerner le prix Nobel de la Paix 1991 à Aung San Suu Kyi de Myanmar (Birmanie) pour sa lutte non violente en faveur de la démocratie et des droits humains. […] La lutte de Suu Kyi est l'un des exemples les plus extraordinaires de courage civil en Asie au cours des dernières décennies. Elle est devenue un symbole important dans la lutte contre l'oppression. […] En attribuant le prix Nobel de la Paix 1991 à Aung San Suu Kyi, le comité Nobel norvégien souhaite honorer cette femme pour ses efforts inlassables et montrer son soutien aux nombreuses personnes qui, dans le monde entier, s'efforcent d'atteindre la démocratie, les droits humains et la conciliation ethnique par des moyens pacifiques."
Suu Kyi utilise les 1,3 million de dollars du prix Nobel de la Paix pour créer un fonds de santé et d'éducation pour le peuple birman, continuant de prôner la non-violence comme tactique politique opportune. "Je ne m'en tiens pas à la non-violence pour des raisons morales, mais pour des raisons politiques et pratiques." Elle sera accusée, en 2007, par journal d'État, New Light of Myanmar, d'évasion fiscale pour avoir dépensé l'argent de son prix Nobel en dehors du pays.
En juillet 1995, elle est libérée de sa détention surveillée, mais il lui est interdit de quitter Rangoon pour rendre visite à sa famille qui vit au Royaume-Uni, sous peine de se voir refuser le droit de revenir en Birmanie. Alors séparée de ses enfants et de son époux, elle ne reverra jamais ce dernier avant sa mort en 1999, et refusera d’assister à ses obsèques par peur de ne pouvoir revenir en Birmanie.
Considérée par le gouvernement birman comme une personne "susceptible de porter atteinte à la paix et à la stabilité de la communauté" du pays, elle est de nouveau assignée à résidence le 23 septembre 2000. Les Nations Unies interviennent pour tenter de faciliter le dialogue entre la junte et Suu Kyi, et mènent des négociations secrètes visant à instaurer la confiance. Le 6 mai 2002, après 19 mois de détention, le gouvernement birman accepte de libérer Suu Kyi qui proclame "une nouvelle aube pour le pays".
Cependant, le 30 mai 2003, une foule soutenue par le gouvernement attaque sa caravane dans le village de Depayin, tuant et blessant plusieurs de ses partisans. Elle tente de s’enfuir, mais est arrêtée à Ye-U. Elle est maintenue en détention secrète pendant plus de trois mois à la prison d'Insein, à Rangoon. Quelques mois plus tard, en septembre, elle est hospitalisée pour une hystérectomie, puis est de nouveau placée en résidence surveillée à Rangoon.
En septembre 2007, bien qu’assignée à résidence, Suu Kyi fait une brève apparition publique à la porte de sa résidence pour accepter les bénédictions des moines bouddhistes qui défilaient en faveur des droits de l'homme. En octobre, comptant alors 12 ans d'assignation à résidence, des manifestations de solidarité ont lieu dans plusieurs villes du monde entier.
Entre mai 2007 et 2009, son assignation à résidence sera prolongée à plusieurs reprises. Le 12 novembre 2010, quelques jours après la victoire aux élections du Parti de la Solidarité et du Développement de l'Union (USDP), soutenu par la junte militaire, cette dernière accepte finalement libérer Suu Kyi. Son assignation à résidence prend fin le 13 novembre 2010.
En octobre 2011, suite à des discussions entre Suu Kyi et le gouvernement birman, environ un dixième des prisonniers politiques birmans furent libérés dans le cadre d'une amnistie et les syndicats légalisés. Le mois suivant, suite à une réunion de ses dirigeants, la LDN, parti de Suu Kyi, annonce son intention de se réenregistrer en tant que parti politique.
En décembre 2011, Suu Kyi rencontre la secrétaire d'État des Etats-Unis, Hillary Clinton, à la résidence du plus haut diplomate américain à Yangon, puis la Première Ministre thaïlandaise, Yingluck Shinawatra, marquant ainsi sa toute première rencontre avec le dirigeant d'un pays étranger. Elle enchaîne les visites avec des diplomates étrangers, et rencontre notamment le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, et le président des Etats-Unis, Barack Obama. Elle décrira cette dernière rencontre comme "l'un des jours les plus émouvants de ma vie".
En 2012, au cours de sa visite en Europe, Suu Kyi se rend au Parlement Suisse pour y recevoir en main propre son prix Nobel de la Paix 1991 et son diplôme honorifique de l'université d'Oxford. Deux semaines plus tard, à Oslo, elle peut enfin prononcer son discours d'acceptation du prix Nobel. Elle reçoit également en personne, quelques mois plus tard, la médaille d'or du Congrès des États-Unis, la plus haute récompense du Congrès, qui lui avait été décernée en 2008 lorsqu’elle était encore en résidence surveillée.
En juillet 2012, elle annonce sur le site du Forum Economique Mondial qu'elle souhaite se présenter à la présidence lors des élections de 2015 au Myanmar. Mais la Constitution en vigueur depuis 2008 lui interdit de se présenter à la présidence car elle est veuve et mère d'étrangers, des dispositions qui semblent avoir été écrites spécifiquement pour l'empêcher d'être éligible. Malgré tout, son parti remporte une large victoire lors de ces élections, obtenant au moins 255 sièges à la Chambre des représentants et 135 sièges à la Chambre des nationalités. De ce fait, en vertu de la Constitution de 2008, elle peut devenir Présidente puisque son parti a obtenu une majorité d'au moins deux tiers dans les deux chambres et, même si elle lui interdit d'accéder à la présidence, elle peut détenir le pouvoir réel dans tout gouvernement dirigé par la NLD.
En mars 2016, elle devient Ministre de la Présidence, des Affaires étrangères, de l'Education, de l'Electricité et de l'Energie dans le gouvernement du président Htin Kyaw. Plus tard, elle renonce à ces deux derniers ministères, et le président la nomme conseillère d'État.
En tant que Ministre des Affaires étrangères, elle a invité les ministres des Affaires étrangères chinois, canadien, italien et japonais afin de discuter de la possibilité d'entretenir de bonnes relations diplomatiques avec ces pays.
En tant que conseillère d'État, elle a amnistié les étudiants arrêtés pour s'être opposés au projet de loi sur l'éducation nationale et a annoncé la création d'une commission sur l'État de Rakhine, qui a un long passé de persécution de la minorité musulmane des Rohingyas.
Pendant la pandémie de COVID-19 au Myanmar, elle a également présidé un comité central national chargé de coordonner la réponse du pays à la pandémie.
En février 2021, Suu Kyi est arrêtée et destituée par l'armée du Myanmar, avec d'autres dirigeants de son parti, après que l'armée a déclaré frauduleux les résultats des élections générales de 2020. Une décision de justice autorise sa détention pendant 15 jours. Elle est ensuite placée en résidence surveillée puis, le 3 février, est officiellement accusée d'importation illégale de matériel de communication, risquant jusqu'à trois ans de prison. Elle est détenue au secret, sans accès à des observateurs internationaux ou à un représentant légal de son choix.
Selon le New York Times, cette accusation "fait écho aux précédentes accusations de crimes juridiques ésotériques (et) d'infractions obscures" utilisées par l'armée contre les critiques et les rivaux.
Entre décembre 2021 et octobre 2022, les charges à son encontre s’accumulent et elle fait l’objet de multiples accusations, risque jusqu’à 15 ans ou plus de prison : incitation à la dissidence, violation des protocoles COVID-19, importation et possession de talkies-walkies, corruption, fraude électorale et de violation de la loi sur les secrets d'État.
Les procès, fermés au public, aux médias et à tout observateur, sont décrits comme un "cirque judiciaire de procédures secrètes sur des accusations bidon" par le directeur adjoint pour l'Asie de Human Rights Watch.
En juin 2022, les autorités de la junte ordonnent, sans aucunes explications, que toutes les procédures judiciaires ultérieures contre Suu Kyi se déroulent dans les locaux de la prison au lieu d'une salle d'audience. Dans le même temps, elle est transférée de l'assignation à résidence à l'isolement dans une zone spécialement construite à l'intérieur d'une prison à Nay Pyi Taw.
En octobre 2022, sa peine s’élève à 23 ans d’emprisonnement.
Interrogée en 2012 sur les modèles démocratiques dont le Myanmar pourrait s'inspirer, Suu Kyi répond : "Nous avons beaucoup, beaucoup de leçons à tirer de divers endroits […]. Nous souhaitons apprendre de tous ceux qui ont réussi une transition vers la démocratie, et aussi […] notre grand point fort est que, parce que nous sommes si loin derrière tout le monde, nous pouvons aussi apprendre quelles erreurs nous devrions éviter."
En parallèle de la politique, Suu Kyi écrit plusieurs ouvrages : "Letters from Burma" (1991), "Nationalisme et littérature en Birmanie" et "La Voix du défi" (1996), "Résistances" (2011) et "Ma Birmanie" (2012). Le plus célèbre est "Freedom from Fear", un recueil de ses essais publié en 1991. C’est également le nom donné à son plus célèbre discours : "Ce n'est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur. La peur de perdre le pouvoir corrompt ceux qui l'exercent et la peur du châtiment du pouvoir corrompt ceux qui y sont soumis. [...] Dans un système qui nie l'existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à être à l'ordre du jour. [...] La forme la plus insidieuse de la peur est celle qui se fait passer pour du bon sens ou même de la sagesse, condamnant comme insensés, imprudents, insignifiants ou futiles les petits actes quotidiens de courage qui contribuent à préserver le respect de soi et la dignité humaine inhérente de l'homme. [...] Pourtant, même dans la machinerie la plus écrasante, le courage se relève sans cesse, car la peur n'est pas l'état naturel de l'homme civilisé."
Intégralité du discours "Freedom from Fear" d’Aung Sang Suu Kyi (1990) : https://thirdworldtraveler.com/Burma/FreedomFromFearSpeech.html
Aung Sang Suu Kyi, "Burma's Modern Symbol of Freedom" - The Nobel Prize : https://www.nobelprize.org/prizes/peace/1991/kyi/facts
Photo: RANGOON, Burma (December 1, 2011) Secretary of State Hillary Clinton meets Daw Aung San Suu Kyi for dinner in Rangoon during her historic visit to Burma. [State Department photo by William Ng]
Article écrit par Julie Poutrel pour Adama Toulon.