Judy Chicago - artiste féministe américaine

Judy Chicago - artiste féministe américaine

Judy Chicago, née Cohen, le 20 juillet 1939, est une artiste féministe américaine, ainsi qu’une universitaire, enseignante en art, et une écrivaine. Elle est notamment connue pour ses grandes installations artistiques collaboratives sur les images de naissance et de création, qui examinent le rôle des femmes dans l'histoire et la culture.

 

Sa mère, May, aimait beaucoup les arts et lui a transmis sa passion. À l'âge de trois ans, Judy commence à dessiner et est envoyée à l'Art Institute of Chicago pour y suivre des cours. À l'âge de cinq ans, elle sait qu'elle "n'a jamais voulu faire autre chose que de l'art" et commence à suivre des cours à l'Institut d'Art de Chicago. Elle s'y inscrit, mais se voit refuser l'admission, et suit alors les cours de l'UCLA grâce à une bourse d'études.

Pendant ses études à l'UCLA, elle devient politiquement active, et réalise des affiches pour la section NAACP de l'UCLA, dont elle devient par la suite la secrétaire correspondante. Elle obtient une licence en beaux-arts en 1962, et obtient une maîtrise en beaux-arts à l'UCLA en 1964.

Son mari, Jerry Gerowitz, qu’elle rencontre en 1959 et épouse en 1961, meurt dans un accident de voiture en 1963. Dévastée par le décès tragique de celui qu’elle aime, Judy souffrira d'une crise d'identité pendant plusieurs années.

 

Au cours de ses études supérieures, Judy créer une série d'œuvres abstraites, mais facilement reconnaissables comme des organes sexuels masculins et féminins. Ces premières œuvres, intitulées "Bigamy", représentaient la mort de son mari. Ses professeurs, principalement masculins, furent consternés par ces œuvres. Malgré l'utilisation d'organes sexuels dans ses œuvres, Judy s'est abstenue d'utiliser la politique de genre ou l'identité comme thèmes.

En 1965, elle présente des œuvres lors de sa première exposition personnelle, à la Rolf Nelson Gallery de Los Angeles. Elle est l'une des quatre femmes artistes à participer à l'exposition. Cependant, elle ne participe pas à l'exposition "California Women in the Arts" au Lytton Center, en 1968, car elle ne souhaite pas exposer "dans un groupe défini comme femme, juif ou californien. Un jour, quand nous serons tous adultes, il n'y aura plus d'étiquettes". Chicago commence à travailler la sculpture sur glace, qui représente "une métaphore de la préciosité de la vie", une autre référence à la mort de son mari.

 

À mesure qu’elle se fait un nom en tant qu'artiste et apprend à se connaître en tant que femme, elle ne se sent plus liée au nom de famille Cohen, dû en grande partie au chagrin causé par la mort de son père et à la perte du lien avec son nom de femme mariée, Gerowitz, depuis la mort de son mari. Elle décide alors de changer son nom de famille pour un nom qui ne soit pas lié à un homme par le mariage ou l'héritage.

Dans le même temps, le galeriste Rolf Nelson la surnomme "Judy Chicago" en raison de sa forte personnalité et de son accent de Chicago. Elle décide que ce sera son nouveau nom, et fait le changement légal de son nom de famille, se libérant ainsi d'une certaine identité sociale. Elle est cependant consternée par le fait qu'il faille la signature de son nouveau mari, le sculpteur Lloyd Hamrol, qu’elle épouse en 1965 avant de divorcer en 1979, pour changer légalement de nom.

Pour célébrer son changement d’identité, elle pose habillée en boxeuse et portant un sweat-shirt avec son nouveau nom lors d’une exposition et, lors de son exposition personnelle de 1970 à l'université d'État de Californie, à Fullerton, elle affiche également une bannière en travers de la galerie : "Judy Gerowitz se débarrasse par la présente de tous les noms qui lui ont été imposés par la domination sociale masculine et choisit son propre nom, Judy Chicago". Une publicité reprenant la même déclaration est publiée dans le numéro d'octobre 1970 d'Artforum.

 

Judy Chicago est considérée comme l'une des "artistes féministes de la première génération", un groupe qui comprend également Mary Beth Edelson, Carolee Schneeman et Rachel Rosenthal. Elles ont fait partie du mouvement artistique féministe en Europe et aux États-Unis au début des années 1970 pour développer l'écriture et l'art féministes.

A cette même période, Judy commence à enseigner à plein temps au Fresno State College, dans l'espoir d'enseigner aux femmes les compétences nécessaires pour exprimer le point de vue féminin dans leurs œuvres. À Fresno, elle crée une classe composée uniquement de femmes et décide d'enseigner en dehors du campus pour échapper à "la présence et, par conséquent, aux attentes des hommes". Elle a enseigné le premier cours d'art pour femmes à l'automne 1970 au Fresno State College, et fonde alors le premier programme d'art féministe aux États-Unis, qui a servi de catalyseur pour l'art féministe et l'enseignement de l'art au cours des années 1970.

 

Avec Arlene Raven et Sheila Levrant de Bretteville, Judy cofonde le Los Angeles Woman's Building en 1973. Cette école d'art et espace d'exposition se trouvait dans une structure nommée d'après un pavillon de l'Exposition universelle colombienne de 1893 qui présentait des œuvres d'art réalisées par des femmes du monde entier. Il abritait le Feminist Studio Workshop, décrit par les fondatrices comme "un programme expérimental d'éducation artistique pour les femmes".

"Notre but est de développer un nouveau concept d'art, un nouveau type d'artiste et une nouvelle communauté artistique construite à partir de la vie, des sentiments et des besoins des femmes".

Au cours de cette période, Judy commence à créer des toiles peintes à la bombe, principalement abstraites, avec des formes géométriques. Ces œuvres évoluent, en utilisant le même médium, pour devenir plus centrées sur la signification du "féminin".

En 1971, elle crée aussi le projet Womanhouse, en collaboration avec Miriam Schapiro, un programme d'art féministe à l'Institut Californien des Arts, le premier espace d'exposition d'art à présenter un point de vue féminin dans l'art, suivies par 21 étudiantes choisies. L'idée de Womanhouse fut lancée lors d'une discussion au début du cours sur le foyer en tant que lieu auquel les femmes sont traditionnellement associées, et elles voulaient mettre en lumière les réalités de la féminité, de l'état d'épouse et de la maternité au sein du foyer. Judy pense que les étudiantes abordent souvent la création artistique avec une réticence à repousser leurs limites en raison de leur manque de familiarité avec les outils et les processus, et de leur incapacité à se considérer comme des travailleuses. "L'objectif du programme d'art féministe est d'aider les femmes à restructurer leur personnalité pour qu'elle corresponde mieux à leur désir d'être artistes et de les aider à construire leur art à partir de leurs expériences en tant que femmes."

 

Sa participation à des centaines de publications dans diverses régions du monde témoigne de son influence dans la communauté artistique mondiale. En outre, nombre de ses livres ont été publiés dans d'autres pays, ce qui rend son travail plus accessible aux lecteurs internationaux. Le travail de Judy incorpore une variété de compétences artistiques, telles que les travaux d'aiguille, contrebalancées par des compétences comme la soudure et la pyrotechnie. Son premier livre, "Through the Flower", publié en 1975, "relate ses luttes pour trouver sa propre identité en tant que femme artiste".

 

"Through the Flower" est aussi le nom de son organisation à but non lucratif. Fondée en 1977, elle sert dans un premier temps à gérer le financement et le soutien massif du public pour son œuvre "The Dinner Party" (1974-1979). Depuis sa création, l’association s'engage dans de nombreuses initiatives visant à fournir des opportunités d'apprentissage de l'histoire des femmes à travers l'art et se concentre sur des activités liées à l'éducation et mettant en lumière les réalisations des femmes, afin de les responsabiliser, de les éduquer et de les inciter au changement social par le biais de l'art.

 

Honorée à plusieurs reprises pour ses œuvres novatrices et extravagantes, ainsi que son activisme pour les droits des femmes, elle reçoit, en 2004, le prix de la femme visionnaire du Moore College of Art & Design. En 2008, elle est lauréate du National Women's History Project dans le cadre du Mois de l'Histoire des Femmes. Elle fut également nommée par le magazine Time l’une des "100 personnes les plus influentes de 2018".

En 2021, elle est intronisée au National Women's Hall of Fame, et une grande exposition rétrospective intitulée "Judy Chicago: A Retrospective", sa toute première rétrospective, est présentée au De Young Museum de San Francisco.

En 2022, elle collabore avec Nadya Tolokonnikova pour transformer sa série "What if Women Ruled the World?" en un projet artistique participatif, rendu possible par la blockchain, dans l'espoir de donner naissance à une communauté Web3 dédiée aux droits des femmes.

 

Parmi ses projets artistiques notables figurent "Pasadena Lifesavers", "International Honor Quilt", "The Birth Project", "Powerplay" et "The Holocaust Project".

 

"Pasadena Lifesavers", créée fin des années 60-début des années 70, est une série de peintures abstraites à l'acrylique sur plexiglas, un travail dans lequel elle explore sa propre sexualité, mélangeant les couleurs pour créer l'illusion que les formes "tournent, se dissolvent, s'ouvrent, se ferment, vibrent, font des gestes, se tortillent". Judy attribue à "Pasadena Lifesavers" le tournant majeur de son travail en ce qui concerne la sexualité et la représentation des femmes.

 

"International Honor Quilt" (1980) est un projet artistique collectif féministe, qui accompagne "The Dinner Party". Il s'agit d'une collection de 539 panneaux de quilts triangulaires piqués de deux pieds de long qui rendent hommage à des femmes du monde entier, des organisations féminines et des questions relatives aux femmes. Dans son autobiographie, "Beyond the Flower" (1997), Judy évoque le lancement de cette œuvre, déclarant que "les gens seraient invités à soumettre leurs quilts triangulaires... en l'honneur des femmes de leur choix. En faisant cela, j'avais l'intention d'offrir une opportunité de participation à la communauté et aussi de contrer une autre critique qui avait émergé, cette fois sur mes choix de femmes."

Son association "Through the Flower" a fait don de la collection au Hite Art Institute de l'université de Louisville en 2013 pour qu'elle soit disponible à des fins de recherche et d'exposition.

 

"Birth Project" (1980 à 1985) est une œuvre qui utilise des images d'accouchement pour célébrer le rôle de la femme en tant que mère. Bien qu’elle ne soit pas personnellement intéressée par la maternité, Judy admire les femmes qui ont choisi cette voie.

Cette œuvre collective lui fut inspirée par le manque d'images et de représentations de la naissance dans le monde de l'art. L'installation réinterprète le récit de la création dans la Genèse, qui mettait l'accent sur l'idée qu'un dieu masculin avait créé un homme, Adam, sans l'intervention d'une femme. Elle a décrit l'œuvre comme révélant un "moi féminin primordial caché dans les recoins de mon âme... la femme qui accouche fait partie de l'aube de la création".

150 artistes des États-Unis, du Canada et de Nouvelle-Zélande ont participé au projet, travaillant sur 100 panneaux, en quilting, macramé, broderie et autres techniques. En raison de sa taille, l'œuvre est rarement exposée dans son intégralité. La majorité des pièces du projet Birth sont conservées dans la collection du musée d'Albuquerque.

 

Parallèlement à "Birth Project", elle crée "Powerplay" (1982), une série de peintures, de dessins, de reliefs en papier coulé et en bronze de grande taille. Ces deux séries ont en commun de traiter de sujets rarement représentés dans l'art occidental. La série "PowerPlay" a été inspirée par son voyage en Italie, où elle a vu les chefs-d'œuvre d'artistes de la Renaissance représentant la tradition artistique occidentale.

Se concentrant sur le comportement violent des hommes, avec des images d'expressions faciales et de parties du corps masculin aux couleurs vives qui expriment l'agression et le pouvoir, elle y dépeint aussi la vulnérabilité. Elle s'est appuyée "sur [son] propre sens de la vérité, travaillant à partir de l'observation, de l'expérience et, bien sûr, de [sa] rage face à la façon destructrice dont tant d'hommes semblent agir à l'égard des femmes et du monde en général."

En représentant des corps masculins, Chicago a remplacé le regard masculin traditionnel par un regard féminin. "Je savais que je ne voulais pas continuer à perpétuer l'utilisation du corps féminin comme dépositaire de tant d'émotions ; il semblait que tout - l'amour, l'effroi, le désir, le dégoût, le désir et la terreur - était projeté sur la femme par les artistes masculins et féminins, bien qu'avec des perspectives souvent différentes. Je me suis demandé quels sentiments le corps masculin pouvait être amené à exprimer."

 

"The Holocaust Project" (milieu des années 1980). Avec ce projet, les intérêts de Judy "sont passés des 'questions d'identité féminine' à une exploration du pouvoir et de l'impuissance masculins dans le contexte de l'Holocauste".

Elle a créé ce projet en collaboration avec son mari, le photographe Donald Woodman, qu'elle a épousé en 1985. Bien que ses précédents maris aient tous deux été juifs, ce n'est qu'après avoir rencontré Woodman qu'elle a commencé à explorer son propre héritage juif. Intéressée par l'illustration du poème sur la Shoa de Harvey Mudd, qu’elle a rencontré, elle décide de créer sa propre œuvre avec son propre art, à la fois visuel et écrit. Elle utilise la Shoah comme un prisme pour explorer la victimisation, l'oppression, l'injustice et la cruauté humaine.

Le projet se compose de seize œuvres de grande taille réalisées sur différents supports : tapisserie, vitrail, travail du métal, travail du bois, photographie, peinture, ainsi que les travaux de couture d'Audrey Cowan. L'exposition se termine par une œuvre représentant un couple juif lors du sabbat, et s'étend sur 3 000 pieds carrés, offrant au spectateur une expérience complète de l'exposition.

L'œuvre, qui a pris huit ans de construction et documente les victimes de la Shoa, a été créée pendant une période de perte personnelle dans la vie de Judy : la mort de son frère Ben, atteint de la maladie de Lou Gehrig, et celle de sa mère, atteinte d'un cancer.

 

Son œuvre la plus connue est "The Dinner Party" (1974-1979). Largement considérée comme la première œuvre d'art féministe épique, elle célèbre les réalisations des femmes à travers l'histoire.

Inspirée par Gerda Lerner, il lui a fallu cinq ans pour créer l'œuvre, qui a coûté environ 250 000 dollars. Elle se compose d’un grand triangle de 48 pieds/43 pieds/36 pieds, et de 39 couverts, chacun commémorant une figure féminine historique ou mythique, telle que des artistes, des déesses, des activistes et des martyrs. Treize femmes sont représentées de chaque côté. Les chemins de table brodés sont cousus dans le style et la technique de l'époque à laquelle vivait la femme représentée. De nombreux autres noms de femmes sont gravés dans le "plancher du patrimoine" sur lequel repose la pièce. Le projet a vu le jour grâce à l'aide de plus de 400 personnes, principalement des femmes, qui se sont portées volontaires pour participer aux travaux d'aiguille, à la création de sculptures et à d'autres aspects du processus.

Bien que les critiques d'art, principalement masculins, aient estimé que son œuvre manquait de profondeur et que le dîner n'était que "des vagins dans des assiettes", elle fut très populaire et captiva le grand public. Judy a présenté son œuvre dans six pays sur trois continents et touché plus d'un million de personnes grâce à ses œuvres. Jane Gerhard lui a d’ailleurs consacré un livre intitulé "The Dinner Party: Judy Chicago and The Power of Popular Feminism, 1970-2007".

 

Lors d'une interview en 1981, Judy a déclaré que les menaces et les critiques haineuses en réaction à son œuvre ont provoqué la seule période de risque de suicide qu'elle ait connue dans sa vie, se décrivant comme "un animal blessé". Elle a déclaré qu'elle a cherché un refuge contre l'attention du public en déménageant dans une petite communauté rurale et que des amis et des connaissances ont assumé des rôles de soutien administratif pour elle, tels que l'ouverture de son courrier, tandis qu'elle se jetait dans le travail sur "Embroidering Our Heritage" (1980), le livre qui documente le projet. "Si je vais de l'avant maintenant, c'est grâce au réseau de soutien qui se met en place et qui me permettra d'aller de l'avant. Mon destin d'artiste est totalement lié à mon destin de femme. Et au fur et à mesure que nous, les femmes, avançons, j'avance. C'est quelque chose de très, très difficile à accepter parce que je n'ai pas pu faire tout le chemin non plus, mais j'ai parcouru un long chemin, je sais que j'ai parcouru un long chemin. Et cela signifie que d'autres femmes peuvent aller aussi loin, et même plus loin encore.

 

https://judychicago.com/

https://throughtheflower.org/

 

© Article écrit par Julie Henry Poutrel pour Adama Toulon.

© Photo: Donald Woodman. Work of art: Judy Chicago - CC BY-SA 4.0

 

 

 

 

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